
Le dernier rapport réalisé par le Crédoc et l’IFM, auquel vous avez contribué, s’interroge sur l’utilité des soldes flottants: pourquoi ce débat revient-il aujourd’hui sur le devant de la scène?
La mission “soldes flottants”, commandée par le précédent secrétaire d’État au Commerce, Frédéric Lefebvre, fin février2012, avait pour objectif de répondre aux régulières remontées des distributeurs sur la mise en place de deux semaines de soldes flottants qui, depuis deux ans, ont chuté de 41%. Signe, qu’à leur quasi-majorité, les commerçants n’y sont plus du tout favorables. Ces conclusions rendues, le ministre du travail de l’époque, Xavier Bertrand, a néanmoins préféré attendre la fin de l’élection présidentielle avant d’en prendre acte. À juste titre, d’ailleurs, puisque c’est finalement la nouvelle ministre du Commerce, Sylvia Pinel, qui s’est saisie du dossier, en juin dernier, en promettant aux commerçants et distributeurs de lancer des concertations sur le sujet dès la rentrée de septembre.
Ce désamour pour les soldes flottants est-il apparu dès leur mise en place, en 2009?
Nous avions fait un premier rapport en 2009, juste après la création de ces périodes de soldes flottants, pour voir si celles-ci avaient réellement un impact sur les prix et la consommation. L’on avait pu constater, à l’époque, des légères retombées positives sur les ventes. De juillet2009 à juillet2010, le secteur de l’habillement a, par exemple, enregistré 56millions de ventes supplémentaires, en moyenne, et 83millions en intégrant les promotions. Mais cet effet accélérateur du début a, depuis, disparu. En 2011-2012, on s’est notamment aperçu que 30% des commerçants accolaient les soldes flottants aux soldes saisonniers à la fin du mois de juillet ou de févier, alors qu’ils n’étaient que 11% à déclarer cette pratique, il y a deux ans.
Pourquoi cette mesure, pourtant destinée à donner du pouvoir d’achat aux consommateurs, n’a-t-elle pas rencontré le succès?
Pour deux raisons essentielles. La première, c’est la praticité car, clairement, les soldes flottants sont contraignants et compliqués. Mettre en place des soldes flottants, un samedi ou deux, nécessite d’embaucher du personnel en extra pour changer les étiquettes, accueillir les gens. Ces obligations n’en valent pas la chandelle aux yeux des commerçants qui préfèrent rallonger leurs périodes de soldes saisonniers plutôt que d’investir sur de trop courtes périodes. Le second frein est, quant à lui, d’ordre sociologique. Les soldes saisonniers sont vécus comme une période de fête par les consommateurs, relayés par les médias qui font, chaque année, un buzz autour de leur ouverture. La notion de soldes en France ne s’entend donc qu’à travers le collectif: tout le monde y est ou pas du tout. Ce qui n’est pas le cas pour les soldes flottants, propres à chaque magasin et pour lesquels la loi oblige les commerçants à se déclarer quatre semaines à l’avance, de façon individuelle. Cette disparité se révèle être très déstabilisante pour le commerce.
Vos conclusions semblent sonner le glas des soldes flottants…
En vérité, il n’y a pas d’unanimité sur ce sujet. Les commerçants indépendants et les responsables de succursales de centre-ville sont majoritairement contre. Ce qui n’est pas l’avis, en revanche, des membres de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) qui considèrent que cette mesure offre la liberté aux commerçants de faire ou de ne pas faire de soldes complémentaires. De fait, les hypermarchés de périphérie qui captent une clientèle au pouvoir achat plus restreint, disposent davantage de personnel et de capacités d’organisation que des commerçants indépendants. Et surtout, ils souffrent moins de renier sur leurs marges. Cela leur permet d’offrir des prix bas, plus souvent, tout au long de l’année. Une concurrence difficile à vivre pour les magasins de centre-ville. En supprimant les soldes flottants, le gouvernement ôterait, enfin, aux commerçants cette pomme de discorde.
La disparition des soldes flottants ne pénaliserait-elle pas les consommateurs?
Il existe tout de même d’autres outils de liquidation plus simples pour les commerçants: ce sont les promotiwons. Pas besoin de déclaration préalable, on peut les faire quand on veut, en fonction de ses stocks et de ses ventes, sur les produits que l’on veut. L’un des avantages de la LME a justement été de simplifier les périodes de promotions, levant l’obligation pour les commerçants de réassortir leurs rayons pendant la période de soldes, une fois leurs stocks épuisés. Du coup, ces derniers sont désormais plus favorables à développer les promotions que des soldes flottants. Car, au final, vouloir introduire des périodes de prix bas généralisées qui ne correspondent ni aux habitudes ni aux besoins spécifiques de chaque magasin reste une fausse bonne idée.
Pourquoi les soldes flottants ont-ils été inscrits dans la LME?
L’objectif était d’accroître les ventes à l’aide de prix cassés, là où les commerçants détenaient du stock, et ce, en dehors des soldes saisonniers réglementés, à savoir: début janvier, fin février et mi-juillet. Cette périodicité, liée aux mouvements d’achat de vêtements, ne tenait pas du coup compte des autres produits qui ne suivent pas le même rythme comme le matériel hifi, informatique, high-tech, ou encore, la téléphonie. Des secteurs où les commerçants se retrouvent très vite avec des stocks d’invendus parce qu’un nouveau modèle ou une version améliorée vient de sortir. Les soldes flottants devaient aider ces distributeurs à écouler ces produits trop vite démodés. Si l’idée de départ n’était, au fond, pas idiote, elle ne profite, en réalité, qu’à une niche de produits, en oubliant malheureusement que 70% des soldes concernent les vêtements, les chaussures et les accessoires en cuir?!
Ces périodes de soldes n’ont-elles pas profité au secteur du textile et de l’habillement?
Hélas non?! Les résultats du marché de l’habillement publiés par l’IFM, entre2011 et2012, montrent bien que, statistiquement, les soldes flottants n’ont pas eu d’impact majeur sur le chiffre d’affaires des distributeurs. Pire: celui-ci accuse même un recul de 2%?! Le seul avantage des soldes flottants réside dans le fait qu’historiquement, contrairement aux promotions, les commerçants ont le droit de vendre à perte durant cette période. Or, à en croire les acteurs du secteur, ce cas de figure demeure très rare. Et pour cause: de nos jours, pour attirer les clients dans les magasins, les grandes chaînes peuvent proposer jusqu’à douze collections de vêtements par an, soit presque trois fois plus qu’auparavant. Résultat, les fabricants produisent en plus petite quantité et les stocks sont faibles. La notion de solde, telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, n’est donc plus adaptée à l’organisation du marché de la mode actuel.
Les soldes sont-ils devenus obsolètes?
Oui et non. Ce que recherchent les gens, d’une façon générale, ce sont des prix bas et tous les moyens sont bons pour en trouver. Les soldes en sont un parmi tant d’autres. Mais cela dépend aussi des générations: les adolescents ne vont pas attendre les soldes pour avoir de meilleurs prix. Ils vont chercher partout, y compris sur Internet, à n’importe quel moment de l’année, quand ils en ont envie. Pour leurs aînés, au contraire, les périodes de soldes restent ancrées dans leur façon d’acheter. Et il faut quand même garder en tête que pour 72% des ménages avec enfants, la nécessité fait loi. Les familles représentent plus de 80% des adeptes des soldes et, d’une façon générale, en 2012, 62% de la population achète par besoin et seulement 38% par plaisir. Une tendance qui s’est inversée depuis 2005 où 53% des consommateurs faisaient encore les soldes pour le plaisir. Alors, même si la grand’messe des soldes est un peu datée, elle continue d’attirer les ménages les plus fragilisés par la crise économique et la baisse du pouvoir d’achat
Internet n’est-il pas en train de faire dangereusement de l’ombre au commerce physique, en matière de prix bas?
Internet participe aux petits prix, il est vrai, et près de 60% des produits sont achetés en soldes sur le web, contre 33% en magasin. Aujourd’hui, aucune grande enseigne ne peut se passer d’Internet. Mais les magasins physiques ont aussi leur place. En témoigne le développement extraordinaire du cross-canal. La France présente, de plus, l’avantage d’avoir un commerce mixte, partagé entre grandes enseignes et indépendants, ce qui n’est plus le cas en Italie ou en Espagne, par exemple. Reste à savoir, maintenant, si l’on veut encore maintenir ces commerces indépendants?! Car ces magasins souffrent de la crise. Leur poids, notamment dans le secteur de la mode, a baissé de 4 points entre2001 et2012, alors que celui des grandes enseignes en a gagné 5. Alors, bien sûr, il y a, derrière cela, une question de choix politique et économique. Mais nous espérons bien que ces problèmes seront abordés au cours de la table ronde organisée par Sylvia Pinel en septembre.